Daisy Godts - Blind Date

“Il est essentiel de dépister sans tarder.”

    Pour Lumière pour le Monde, Erika Van Tielen s’entretient avec Daisy Godts, orthoptiste à l’hôpital universitaire d’Anvers. Elles évoquent son travail très nécessaire d’orthoptiste et ses missions pour l’ONG. Une discussion pleine d’intérêt avec une femme engagée dans son métier.

    Erika van Tielen
    “Bonjour Daisy, bienvenue. Où travaillez-vous précisément ?”

    Daisy Godts
    “Je travaille depuis 30 ans à l’hôpital universitaire d’Anvers. Je suis une orthoptiste. Une personne qui examine l’ajustement de l’image perçue par les deux yeux. Lorsque nous ouvrons les yeux, nous voyons une seule image. Mais nous avons deux yeux. L’image perçue par l’œil droit et celle perçue par l’œil gauche fusionnent et nous parlons alors de vision binoculaire.”

    Erika van Tielen
    “Il s’agit d’une spécialisation en tant que telle.”

    Daisy Godts
    “Je suis en quelque sorte la kiné de l’ophtalmologie. C’est ce que je dis souvent aux patients.”

    Erika van Tielen
    “Existe-t-il une formation spécifique ?”

    Daisy Godts
    “Dans les années 70, il y avait peu d’informations à ce sujet. Par recoupement, j’ai découvert que cette discipline était enseignée à Utrecht. Mais ils formaient 14 orthoptistes par an pour l’ensemble des Pays-Bas. Il admettaient toujours un étudiant étranger, mais la place était déjà prise quand j’ai voulu m’y présenter. J’ai donc fait une année de médecine à Louvain. Puis, j’ai reçu une invitation pour un entretient à Utrecht. Et là, j’ai été accepté et j’ai immédiatement décidé de changer mon fusil d’épaule.”

    Erika van Tielen
    “D’où vous venait cette fascination ?”

    Daisy Godts
    “J’ai toujours voulu faire un métier lié à la médecine. Et j’avais une cousine atteinte de strabisme. Je ne sais pas si c’est à la base de ma décision, mais c’est ainsi que j’ai opté pour une discipline de l’ophtalmologie.”

    Erika van Tielen
    “Vous êtes devenue une autorité dans votre domaine ?”

    Daisy Godts
    “Je m’investit depuis très longtemps là-dedans. J’ai travaillé onze ans aux Pays-Bas avant de venir m’installer à Anvers. Depuis lors, il y a trois formations. Une à Liège, deux à Bruxelles. Il ne faut donc plus aller à l’étranger.”

     

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    Erika van Tielen
    “Quel est votre domaine de compétence exactement ?”

    Daisy Godts
    “Si la coordination entre les deux yeux n’est pas optimale, nous voyons double. J’essaie d’identifier l’origine de la double vision ou diplopie. Par exemple, un traumatisme ou un accident de la route, notamment des fractures ou lésions musculaires.

    La diplopie peut aussi être liée à l’âge, parce que les muscles oculomoteurs faiblissent et une légère déviation des yeux peut apparaître. Ensuite, il y a les troubles neurologiques. Comme les tumeurs cérébrales, anévrismes et hémorragies cérébrales. Ou chez une personne atteinte de strabisme pendant son enfance. L’œil strabique est « ignoré » par le cerveau et cette déconnexion provoque aussi l’apparition d’un œil paresseux. Cette « paresse » de l’œil peut même empêcher la lecture des très grosses lettres.

    Voilà l’une des causes de l’œil paresseux. Autre raison : un œil qui voit parfaitement alors que l’autre a besoin de lunettes. Notre cerveau va alors continuer à utiliser l’œil qui n’a pas besoin de correction et ignorer l’autre. Et ne pas l’utiliser va rendre cet œil paresseux.

    Une troisième raison peut être la présence d’une petite opacité qui compromet l’axe visuel. L’œil ne se développe pas, n’est plus utilisé et peut également devenir paresseux. Et c’est la forme la plus grave d’amblyopie : la plus difficile à traiter.

    L’amblyopie apparaît aussi chez les patients de la thyroïde. C’est une association souvent ignorée, mais un trouble de la fonction thyroïdienne peut provoquer un gonflement des muscles ce qui fait qu’ils ne s’étirent plus normalement. Par exemple, le gonflement du muscle oculaire interne empêche l’œil de regarder complètement vers l’extérieur ce qui fait que la personne va voir double.

    Je m’occupe aussi de bébés atteints de cataracte congénitale. Une lentille a été mise au point il y a 27 ans à l’université d’Anvers, idéale pour les enfants atteints de cataracte. Lors d’une opération normale de la cataracte, la partie opacifiée est enlevée et remplacée par une lentille artificielle insérée dans le sac capsulaire. Dans le cas d’un bébé, cette technique provoque rapidement l’opacification de la capsule. Chez les adultes aussi, mais un traitement laser permet de résoudre rapidement le problème.

    Mais la technique est inapplicable aux jeunes enfants et bébés. La lentille implantaire qui a été mise au point est une avancée spectaculaire, bien qu’elle soit très difficile à pratiquer. Je me charge moi-même de la rééducation visuelle de ces enfants. Parce que cela ne commence vraiment qu’après l’implantation des deux lentilles artificielles.  Il faut ajuster les lunettes ou voir si un cache-œil est nécessaire. Pendant la première année, l’œil grandit énormément.

    Il est essentiel que le problème oculaire soit identifié sans tarder. Imaginez-vous qu’un bébé naisse avec une cataracte unilatérale. On voit alors parfois une pupille blanche. C’est donc une forme grave. Aucune lumière ne peut entrer ou sortir, ce qui implique que cet œil n’est pas utilisé. Nous voyons avec notre cerveau via nos yeux. Donc bien des éléments ne se développent pas dans le cerveau. Et si cette situation perdure jusqu’à ce que l’enfant ait trois ou quatre mois, il est parfois déjà trop tard. C’est très frustrant.

    C’est le gros inconvénient dans les pays où les soins de santé ne sont pas adéquats : les problèmes sont découverts beaucoup trop tard et il n’y a pas de suivi.”

    Erika van Tielen
    “Comme dans ces régions d’Afrique. Est-ce la raison pour laquelle vous avez senti le besoin d’aller aider sur place pour améliorer les choses là-bas ?”

    Daisy Godts
    “J’ai commencé il y a quinze ans à travailler dans les pays en développement. Je suis allée dans le nord de la République dominicaine. Je me sentais très utile et cela me procurait beaucoup de satisfaction. Je me suis également rendue en Inde. Ensuite, en 2013, je suis partie pour la première fois en RDC avec Lumière pour le Monde. C’était surtout pour donner des formations. Je crois que le principal point fort de Lumière pour le Monde, c’est qu’ils investissent sur place dans l’infrastructure et forment du personnel. C’est fantastique, parce qu’après notre départ, ces personnes peuvent continuer notre travail.”

    Erika van Tielen
    “Combien de temps restez-vous sur place ?”

    Daisy Godts
    “Pas très longtemps. Une semaine à dix jours, parfois cela suffit. Il vaut mieux y aller plus souvent qu’y rester trop longtemps. Parce que ce qu’on leur explique, ils doivent pouvoir l’assimiler et l’appliquer. Quand on y retourne, on peut vérifier s’ils l’ont bien fait. Et être parfois déçue parce que ce n’est pas le cas. Je me sens comme une institutrice trop sévère.”

     

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    Erika van Tielen
    “Voyez-vous les mêmes pathologies qu’en Europe ? Ou y en a-t-il d’autres qui reviennent plus souvent ?”

    Daisy Godts
    “C’est toujours plus grave qu’ici, parce qu’on a laissé passer trop de temps. On voit souvent des traumatismes qui auraient pu être traités si le patient s’était présenté plus tôt. La cataracte est la cause la plus fréquente de cécité en Afrique. Chez les enfants, il faut intervenir très vite. Parce que si les deux yeux sont touchés, apparaît alors le tremblement des yeux et l’enfant n’apprend rien, son développement est perturbé. Et souvent il est déjà trop tard. J’ai vu beaucoup d’enfants recevoir une rééducation visuelle. Il y en a beaucoup plus que chez nous.”

    Erika van Tielen
    “Il est alors moins facile pour ces enfants de s’intégrer dans la communauté”.

    Daisy Godts
    “Chez nous, il y a toutes sortes de dispositions et d’équipements pour les personnes aveugles et malvoyantes. En Afrique, beaucoup moins. Mais Lumière pour le Monde investit aussi dans l’éducation inclusive. Cela aide à scolariser les enfants. Mais j’ai vu des classes de 50 personnes où se trouvait un enfant aveugle. C’est loin d’être évident. En Belgique, l’éclairage est meilleur, il y a du matériel électronique, des loupes, des écrans. Il n’y en a pas dans ces régions d’Afrique. Il est vrai que l’aide de la famille peut-être plus développée qu’ici.”

    Erika van Tielen
    “Vous le pensez vraiment ? J’entends des récits de personnes vraiment exclues parce qu’elles ont une déficience visuelle.”

    Daisy Godts
    “Dans certaines cultures, l’exclusion existe bel et bien. Ils ne voient pas toujours la gravité de la situation. Par exemple : l’enfant ressemble juste à son grand-père car il a aussi des pupilles blanches.”

    Erika van Tielen
    “Travaillez-vous également sur la sensibilisation de la communauté au sens large ?”

    Daisy Godts
    “Oui, en effet. En Afrique, il est important d’investir dans le dépistage et la sensibilisation de la population, même si c’est difficile quand on est au milieu de nulle part.”

    Erika van Tielen
    “Jusqu’à présent, combien de fois vous êtes-vous rendue en Afrique pour Lumière pour le Monde ?”

    Daisy Godts
    “Je suis allé trois à quatre fois en RDC. Et cette année à nouveau au Rwanda. J’admire le Rwanda, parce que c’est vraiment un pays où les choses fonctionnent. Là-bas, les routes et l’hôpital sont bons, le personnel local est bien formé et surtout ils consacrent un jour par mois au travail social communautaire : chacun fait quelque chose pour améliorer la situation dans le pays.”

    Erika van Tielen
    “Considérant toutes vos missions, y a-t-il quelque chose qui vous a marquée ?”

    Daisy Godts
    “La motivation du personnel local pour étudier, je l’ai trouvée admirable. Par exemple, l’une des ophtalmologues au Rwanda avait fait ses études d’ophtalmologie en RDC et est ensuite allée à Paris. Partant d’un pays africain, c’est loin d’être évident. Autre exemple : l’un des collaborateurs de Lubumbashi était allé étudier en Inde pendant 6 mois. Un tel engagement, c’est remarquable.”

    Une autre anecdote encore. J’avais reçu de mon université des cours que j’ai copié sur des clés USB. Parce que là-bas, ils n’ont pas toujours les moyens de s’acheter des livres. Seulement voilà, ils n’avaient pas d’ordinateurs pour utiliser ces clés USB. Je suis donc retournée l’année suivante avec six ordinateurs portables de seconde main. Le problème, c’est que personne sur place n’avait encore travaillé sur un ordinateur. Nous ne tenons pas compte de tous ces facteurs.”

    Erika van Tielen
    “Il y a encore du pain sur la planche. Mais je reçois beaucoup d’échos positifs, qui promettent pour l’avenir. Allez-vous retourner là-bas ?”

    Daisy Godts
    “Je l’espère. Cela dépend aussi de Lumière pour le Monde, s’ils veulent encore m’envoyer là-bas. Ils viennent d’ailleurs d’ouvrir une nouvelle clinique en RDC. Je trouve ça bien qu’ils fassent toujours appel à la même personne. Parce que toujours d’autres personnes pour enseigner les mêmes choses, cela sème la confusion. J’ai aussi constitué un groupe WhatsApp pour qu’ils puissent me poser des questions en cas de problème.”

    Erika van Tielen
    “Enfin, comment pouvons-nous apporter notre contribution ?”

    Daisy Godts
    “Pour cela, je pense surtout qu’un soutien financier est nécessaire. En tant qu’entreprise, vous pouvez aussi envoyer du matériel, mais le transport doit être possible. Ces 6 ordinateurs portables tiennent dans nos valises. Donc nous avons pu les prendre avec nous.”

    Erika van Tielen
    “Rêvez-vous de l’un ou l’autre développement dans votre domaine de compétence ?”

    Daisy Godts
    “J’espère pouvoir continuer à voyager. J’aime énormément les voyages et j’ai la chance d’être souvent sollicité pour donner cours.”

    Erika van Tielen
    “Y a-t-il un progrès médical que vous espérez encore voir arriver ?”

    Daisy Godts
    “Via le dépistage, il est essentiel de pouvoir identifier tous les cas à temps, ici comme là-bas. Je crois que beaucoup est possible, même en Afrique.”

     

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