Mimoza Uka @ Blind Date

“Sortez de chez vous et affrontez le monde”

    Pour Lumière pour le Monde, Erika Van Tielen s’entretient avec Mimoza Uka. Cette étudiante de 24 ans est atteinte de malvoyance sévère, ce qui ne l’empêche pas de poursuivre ses études. Plus tard, elle souhaite aussi travailler auprès de jeunes. Une conversation intéressante avec une étudiante passionnée.

    Erika Van Tielen

    « Pourras-tu te présenter en quelques mots ? »

    Mimoza

    « Je m’appelle Mimoza. J’ai 24 ans, je suis étudiante et j’ai une déficience visuelle, une malvoyance sévère. Et je suis originaire du Kosovo. »

    Erika Van Tielen

    « Que vois-tu et que ne vois-tu pas ? »

    Mimoza

    « Je suis née avec ma déficience visuelle. Avant, je voyais mieux, mais ma vue a baissé. En ce moment, je peux voir la lumière et l’obscurité. Et je peux reconnaître les gens s’ils sont plus proches qu’un mètre. Donc là, je vois que tu as les cheveux foncés. Mais je ne vois pas la couleur de tes yeux.  »

    Erika Van Tielen

    « Cela peut-il empirer ? »

    Mimoza

    « Oui. Les chances que je devienne aveugle sont élevées. Avant, je voyais vraiment mieux. C’est dur. J’avais plus de mal à le supporter au début que maintenant. Bien sûr, il y a toujours des jours pénibles. Mais en m’entourant des bonnes personnes et en gardant la bonne attitude, on s’y fait. »

    Erika Van Tielen

    « Tu es une personne positive. Mais je peux imaginer que cela crée souvent des situations gênantes dans ta vie quotidienne. Des choses qui sont évidentes pour les autres mais pas pour toi. Pourrais-tu en donner quelques exemples ? »

    Mimoza

    « J’étudie à Louvain et j’essaie de vivre une vie d’étudiante ordinaire. Et puis, je me heurte à certaines choses, au sens propre comme au figuré. Je dois donc avoir des repères ou vraiment connaître certains itinéraires, par exemple lorsque je prends le bus. Je dois bien réfléchir à l’avance, je ne peux pas être impulsive. Quand je vais faire la fête, je dois amener quelqu’un en qui j’ai confiance pour me déposer à la maison. »

    Erika Van Tielen

    « Te sens-tu dépendante des autres ? Pas assez indépendante ? »

    Mimoza

    « C’est un sentiment qui persiste. On a toujours besoin des gens, et avec mon handicap, c’est d’autant plus le cas. Je me sens dépendante, mais je sais que je suis très indépendante. Tout le monde est dépendant des autres dans une certaine mesure, sur le plan affectif par exemple. »  

    Erika Van Tielen

    « Penses-tu qu’il y ait suffisamment d’aide ou d’accompagnement pour t’aider à être une étudiante comme les autres ? »

    Mimoza

    « Oui. Au kot, il y a un encadrement. Il y a des étudiants qui ont à cœur de donner la possibilité aux personnes porteuses de handicap d’étudier. Puis on va cuisiner ou faire des courses ensemble. C’est la KUL qui organise ça. Donc, à ce niveau-là, tout se passe bien. À l’école, il y a un conseiller d’élèves. Mais nous devons encore nous débrouiller nous-mêmes pour beaucoup de choses. Du coup, je suis un peu moins positive à ce sujet. Si tu ne cries pas assez fort, on ne t’aide pas. Notamment pour les examens qui doivent être convertis. Ou les présentations PowerPoint. Il faut vraiment se faire entendre. »

    Erika Van Tielen

    « Mais on te connaît maintenant, non ? »

    Mimoza

    « C’est vrai. Mais j’imagine qu’il y a des étudiants qui ne se font pas entendre et qui ne se sentent désarmés. » 

     

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    Erika Van Tielen

    « Alors qu’est-ce qui doit changer pour toi ? Ou pour les autres étudiants qui viendront après toi ? »

    Mimoza

    « Au sein de la haute école UCLL, il y a une personne pour aider toutes les personnes porteuses de handicap. Elle est censée tout connaître sur le sujet et guider les jeunes atteints d’autisme, de dyslexie ou de TDAH. Et aussi les personnes malvoyantes. C’est vraiment bizarre. Parce que c’est difficile de fournir une expertise adéquate. C’était le cas avant, même dans l’enseignement supérieur. Il y avait différents accompagnateurs avec une expertise spécifique. »

    Erika Van Tielen

    « Comme pour ta sœur, également atteinte de déficience visuelle ? »

    Mimoza

    « Oui, elle bénéficiait encore de tout cet accompagnement adapté. C’était une mauvaise idée de le retirer. »

    Erika Van Tielen

    « As-tu l’impression d’avoir raté des choses jusqu’à présent à cause du manque d’appui ? »

    Mimoza

    « Non. Parce que je prends moi-même les initiatives. J’ai aussi une pédagogue qui m’a aidée dans ma scolarité pendant quatre ans. Il se trouve qu’elle est une enseignante dans le secondaire. Je pense vraiment que j’aurais raté beaucoup de choses sans son aide. »

    Erika Van Tielen

    « Comment vois-tu l’avenir ? »

    Mimoza

    « Je viens de terminer mon stage de 500 heures. Et je pars dans deux semaines en Erasmus au Danemark. »

    Erika Van Tielen

    « Comment comptes-tu t’y prendre ? »

    Mimoza

    « À la base, je devais m’y rendre avec deux camarades de classe. Mais maintenant, j’y vais seule et ça a été un peu la panique. Grâce au budget de l’Agence flamande pour les personnes avec un handicap (VAPH), une bonne amie peut m’y accompagner. »

    Erika Van Tielen

    « Et si elle ne pouvait pas venir ? Tu devrais gérer cela toi-même ? »

    Mimoza

    « Effectivement. Au Danemark, je me sens plus soutenue qu’en Belgique. Je n’avais pas l’impression que l’université m’appuierait pour les questions pratiques. Par exemple, j’ai dû me débrouiller toute seule pour ma bourse d’études. Mais j’ai reçu beaucoup de mails du Danemark de la part de professeurs ou d’un élève accompagnateur qu’on m’a assigné. »

    Erika Van Tielen

    « Comment imagines-tu ton futur professionnel ? Tu ne bénéficieras d’aucun accompagnement, si ? »

    Mimoza

    « Non, en effet. Mais la Ligue Braille nous aide quand même à trouver un emploi. Elle fournit aussi des conseils aux employeurs sur la meilleure façon de procéder. Mais je n’ai pas l’intention de travailler tout de suite (rires). Je voudrais continuer mes études. Soit à la KUL, soit à la VUB, mais alors je perdrai cet encadrement. Travailler avec des enfants ou des jeunes, voilà mon objectif. »

    Erika Van Tielen

    « Tiens-tu compte de ta déficience visuelle dans ta recherche d’emploi ? Ou t’y lances-tu bille en tête ? »

    Mimoza

    « Par exemple, je ne vais pas m’occuper d’un groupe de vingt jeunes dans un centre. Ce n’est pas viable. Donc ça m’attire moins. Travailler individuellement avec des jeunes, oui : ça me permet de créer plus de lien avec eux. Et c’est plus agréable. »

     

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    Erika Van Tielen

    « Aurais-tu des conseils pour les jeunes qui se trouvent dans la même situation ? »

    Mimoza

    « Ne vous laissez pas limiter par la vie, sortez de chez vous et affrontez le monde. Vivez en kot ! (rires) Mais ne vous attendez pas à ce que tout le monde s’adapte à vous. Tout est dans l’interaction. »

    Erika Van Tielen

    « Que peuvent faire les personnes pour t’aider ? »

    Mimoza

    « Quand je sors, j’entends parfois des personnes dire : ‘Qu’est-ce qu’elle veut boire ?’ Comme si je n’étais pas là. Maintenant, je me promène toujours avec une canne pour leur montrer qu’il faut prendre ça en compte. Récemment, une vieille dame dans la rue m’a dit : ‘Vous êtes vraiment aveugle ou vous faites un peu semblant ?’ (rires) Mais qu’on me traite comme une enfant, je ne peux pas le supporter. Je peux comprendre cette ignorance. Mais je préfère qu’on appelle un chat un chat et qu’on me demande si on peut m’aider. Dans un bus, par exemple, j’aiderais volontiers une personne âgée ou enceinte. Mais dans le mien, il n’y a que des étudiants qui doivent se rendre au campus. Alors on se retrouve souvent agrippé comme un singe à une barre parce que le bus est bondé. Et puis personne ne me cède son siège. C’est le genre de chose qui peut me mettre en colère. Ce serait sympa qu’un·e étudiant·e m’aide un peu. »

    Erika Van Tielen

    « Ne demandes-tu jamais toi-même de l’aide ? Espères-tu qu’on t’en donne spontanément ? »

    Mimoza

    « Oui, c’est ça (rires) »

    Erika Van Tielen

    « Es-tu consciente qu’ici, en Belgique, tu as encore de la chance de vivre avec ta déficience visuelle ? »

    Mimoza

    « Bien sûr. Je suis reconnaissante de vivre ici. Car que se passerait-il si je vivais encore au Kosovo avec mes sœurs ? Il n’y a tout simplement pas d’école pour les personnes malvoyantes là-bas. J’ai aussi fait un voyage d’immersion en Tanzanie avec Lumière pour le Monde. Sur place, les enfants étaient heureux. Mais j’ai trouvé ça intense. Ça m’a vraiment fait voir les choses en face. Je réfléchis encore à deux fois avant de me plaindre de ma situation. Ils le font beaucoup moins là-bas. »

    Erika Van Tielen

    « Qu’as-tu constaté pendant ce voyage ? »

    Mimoza

    « Nous étions cinq écoles différentes avec deux élèves par école. Nous avons visité une petite école pour enfants malvoyants. Dès la deuxième année, ils étaient intégrés dans les classes générales avec des enfants voyants. Chez nous en Belgique, ça avait pourtant pris beaucoup de temps. Ça m’a épatée. Mais en termes d’aides visuelles et pédagogiques, ils ont moins de moyens. Nous avons des ordinateurs… Eux se contentent d’un poinçon et d’une tablette. J’étais choquée. »

    Erika Van Tielen

    « Connais-tu le travail de Lumière pour le Monde sur le terrain ? Cela te donne-t-il de l’espoir ? »

    Mimoza

    « Grâce à la récolte de fonds, l’ONG a mis en place un terrain de torball pour les jeunes. Le torball est un sport destiné aux personnes atteintes de déficience visuelle. Et elle a aussi construit une cuisine pour préparer de la nourriture à l’intérieur. Et elle va également chercher les enfants atteints de cataracte dans les familles pour les conseiller. Elle proposent un accompagnement à domicile. Les enseignants et éducateurs reçoivent aussi beaucoup de conseils pratiques. On leur explique comment ça se passe Belgique. »

    Erika Van Tielen

    « Donc si nous récoltons assez d’argent, Lumière pour le Monde pourra l’utiliser à bon escient là-bas ? »

    Mimoza

    « Tout à fait. En allant moi-même sur place, je me suis rendu compte de tout ce qui s’y passe. Ces personnes ont vraiment besoin d’aide. »

    Erika Van Tielen

    « Et vice versa : en matière d’éducation inclusive, pouvons-nous apprendre beaucoup d’eux ? »

    Mimoza

    « À mon avis, oui. Pendant la récréation, tout le monde jouait avec les autres, handicap ou non. Il n’y avait pas de différence. »

    Erika Van Tielen

    « Un grand merci, Mimoza. »

     

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